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2024 : Un monde en guerre

vendredi 9 février 2024 par Frédéric Thomas

« – Notre poème aura-t-il été vain ?
– Non... Je ne le crois pas.
– Mais alors pourquoi la guerre devance-t-elle le poème ? »

Mahmoud Darwich (1984)

Nous devons faire la guerre à la guerre ! (JP-ANC)

« 2023 restera comme l’année des deux guerres » affirmait tout récemment l’éditorialiste au journal Le Monde, Alain Frachon.
Disparaissent ainsi des radars des millions d’Éthiopiens, de Soudanais, de Yéménites, de Congolais et, surtout, d’Éthiopiennes, de Soudanaises, etc. tant les premières victimes des guerres sont avant tout des civils et parmi eux des femmes.
Soit que les guerres auxquelles elles sont confrontées ne comptent pas, soit qu’elles ne sont toujours pas entrées dans l’histoire. En réalité, 2023 sera surtout l’année où le narratif européen est venu se briser sur une réalité par trop épineuse pour sa prétention morale et démocratique, mettant ainsi à nu l’aveuglement et le double discours à l’œuvre.

L’organisation suédoise, Uppsala Conflict Data Program (UCDP), dont les données servent de référence aux organes de l’ONU, enregistrait, en 2022, cinquante-cinq conflits armés étatiques. Selon sa définition, basée sur le nombre de morts – au moins un millier par an au cours de batailles –, huit d’entre ces conflits sont considérés comme des guerres ; les plus meurtrières étant alors celles d’Ukraine et d’Éthiopie.

L’affirmation de Frachon n’aurait dès lors de sens qu’en lui adjoignant le limitatif « pour les Occidentaux » ; une restriction géopolitique qui réduit considérablement sa portée et sa pertinence.

Plutôt que d’interroger notre tendancieuse impression de paix – alors que, selon l’UCDP, 2022 fut l’année la plus meurtrière depuis le génocide du Rwanda en 1994 –, cela revient à penser illusoirement l’Europe au centre du monde. Cette lecture biaisée est le fruit et le reflet d’un isolement – qu’elle entretient et accroit – au sein de l’arène internationale.

Ainsi, le 12 décembre 2023, 153 pays votèrent pour une résolution non contraignante de cessez-le-feu humanitaire à Gaza à l’Assemblée générale des Nations unies. Il y eut dix votes contre – outre les États-Unis et Israël, deux pays européens(l’Autriche et la République tchèque), deux latino-américains (le Guatemala et le Paraguay), ainsi que le Libéria, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et deux micro-États s’opposèrent à cette résolution – et 23 abstentions, parmi lesquelles neuf pays de l’Union européenne (UE). La Belgique, la France, l’Espagne et quelques autres membres de l’UE ont donc voté pour.

C’est, semble-t-il, le plus grand héroïsme dont sont encore capables ces gouvernements, trop soucieux de ne pas se fâcher avec Washington.

La désertion du terrain politique

L’irruption, au-devant de la scène, de la guerre en Ukraine d’abord, de celle en Palestine ensuite, risque d’accroître l’invisibilité des autres conflits armés. Elle a, en tous les cas, rendu plus évident – plus évident et plus insupportable – le deux poids-deux-mesures de la diplomatie et du traitement médiatique. La simultanéité de ces deux conflits armés permet en effet de mieux mesurer le double discours et la politique à géométrie variable dont l’Europe fait preuve.

Ainsi, l’agitation étatique et la stratégie des sanctions à l’égard de Poutine n’ont d’égale que la veulerie diplomatique face à Netanyahou : de timides condamnations morales sans effets prolongent de stériles discussions sans lendemain.
Alors que la présence d’acteurs d’extrême-droite en Russie et en Ukraine – et leurs poids politiques respectifs – ont fait l’objet de controverses, la question ne se pose guère par rapport au gouvernement israélien. Et les mots de « génocide » et d’« apartheid » paraissent bien trop grossiers à nos délicates oreilles.

Loin de constituer la démonstration de notre engagement, l’aide humanitaire aux Palestiniens et Palestiniennes marque à la fois le renoncement à tout changement et l’ultime audace dont nous soyons capables pour couvrir notre inaction et notre impuissance.
Ce n’est pas « mieux que rien », mais « rien en mieux ». « Davantage d’aide n’a aucun sens sans un cessez-le-feu » prévenait ainsi, fin décembre, Médecins sans frontières.

Cette désertion du terrain politique – seul espace possible d’un cessez-le-feu et, à terme, d’une résolution du conflit – s’apparente à un retrait sans fin en-deçà du droit et de nos principes. Le massacre de civils, les crimes de guerre, le ciblage des journalistes, le blocage ou l’entrave de l’aide ?
Rien de tout cela ne constitue une ligne rouge, tout juste une source d’indignation fugitive. Au point que, paradoxalement, les prises de position des humanitaires, supposés être apolitiques, tranchent avec la rhétorique falote de la diplomatie occidentale.

Dans un poème célèbre, Prévert se rappelait la passante qu’il avait croisée naguère, se demandant ce qu’elle était devenue – elle et celui qui la serrait dans ses bras – « sous cette pluie de fer / De feu d’acier de sang ».

Faut-il que ce soit à Brest et non à Gaza, qu’elle s’appelle Barbara et non Alma ou Amirah pour s’emporter : « Quelle connerie la guerre »  ? Et pour que le poème ne soit pas vain ?

Tribune de Frédéric Thomas publiée dans La Libre Belgique.


Voir en ligne : https://www.cetri.be/2024-un-monde-...

   

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