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Théorie de la folie présidentielle commune

mercredi 31 janvier 2024 par Seymour Hersh

D’Hiroshima aux Houthis, les présidents américains ont tendance à aller trop loin lorsqu’ils croient faire face au communisme ou au terrorisme, et le monde en paie le prix (fort).

Je me suis demandé comment replacer dans son contexte la récente décision de Joe Biden, dans un contexte de sondages défavorables et d’engagements désastreux en Ukraine et à Gaza, de se lancer à corps perdu dans une guerre navale contre des Houthis du Yémen déterminés, et contre les boutres, ces voiliers présents dans l’océan Indien et la mer Rouge depuis des millénaires, qui les ravitaillent.

L’affaire n’est pas simple.
Mais l’histoire moderne des États-Unis est truffée de présidents aux décisions désastreuses lorsqu’ils ont été confrontés à ce qu’ils considèrent des défis lancés par Moscou. L’Union soviétique a été l’alliée la plus importante de l’Amérique pendant la Seconde Guerre mondiale, mais avant même la fin de la guerre, les superpuissances émergentes sont entrées dans une nouvelle rivalité mortelle.

Alors que la guerre froide semblait avoir pris fin il y a trente ans, cette rivalité a été ravivée et la Russie, bien qu’elle ne soit plus communiste, est revenue hanter l’administration Biden. Cette rivalité façonne les relations, amicales ou hostiles, de l’Amérique avec la Chine, l’Ukraine, Israël et, aujourd’hui, les Houthis du Yémen.
Voici un compte rendu de quelques-unes des mauvaises décisions prises par des présidents poussés par leurs insécurités politiques et celles de leurs proches conseillers. L’une des constantes est le manque de renseignements fiables sur leurs adversaires, comme dans le cas des Houthis qui continuent à tirer des missiles malgré les attaques répétées des Américains.

Notre nouveau président, après la mort de Franklin Delano Roosevelt en avril 1945, était Harry S. Truman, le mercenaire du Missouri qui fut le troisième homme politique à occuper le poste de vice-président de Franklin Delano Roosevelt. John Nance Garner, qui a été huit ans le premier vice-président de FDR, a décrit son rôle comme “ne valant même pas un seau de pisse tiède”.

En matière de politique étrangère, Truman ne savait pas où donner de la tête, c’est le moins que l’on puisse dire. Il se laissait facilement manipuler par les faucons de son cabinet et du département d’État. [Voir “Another Such Victory”, de l’historien Arnold Offner, un compte rendu dévastateur de l’incompétence de Truman, publié en 2002 par Standford University Press].
Ils étaient impatients de s’attaquer aux Soviétiques et ont convaincu Truman de ne pas se contenter de démontrer la puissance de la bombe nucléaire américaine via une explosion quelque part dans le Pacifique Sud, comme cela avait été initialement prévu, mais de larguer deux bombes sur des villes japonaises qui n’avaient rien à voir avec l’effort de guerre dans ce pays, tout en présentant délibérément les deux villes aux médias comme des centres d’activité belliciste.

Truman a continué à faire preuve de complaisance sous la pression des faucons dans les premières années de l’après-guerre, alors que l’Amérique et ses alliés se lançaient dans une campagne mondiale destinée à tenir le communisme en échec, en particulier en Europe et en Asie du Sud-Est. C’est dans ce but que la Central Intelligence Agency [CIA] a été créée en 1947, en tant qu’héritière de l’Office of Strategic Services de l’époque de la guerre.

Le président Dwight Eisenhower, le général de l’armée de la Seconde Guerre mondiale arrivé au pouvoir en 1953 sous l’étiquette républicaine, a donné aux frères Dulles, John Foster au département d’État et Allen à la CIA, l’autorisation de soutenir les Français, avec beaucoup plus d’armes et de fonds que ce qui était publiquement dit, dans leur guerre perdue contre Ho Chi Minh au Viêt Nam, parmi d’autres fronts de la lutte contre le communisme. À la fin de ses deux mandats, cependant, Eisenhower a su tirer la sonnette d’alarme face à la montée en puissance du complexe militaro-industriel.

Au cours de ses derniers mois, Eisenhower a néanmoins donné son accord à un complot de la CIA visant à assassiner par empoisonnement Patrice Lumumba, le premier Premier ministre indépendant du Congo. Les détails de son implication ont été officiellement connus lors des fameuses auditions du Church Committee de 1975 et 1976 sur les opérations secrètes de la CIA - auditions déclenchées par une série d’articles que j’avais écrits pour le New York Times sur les activités d’espionnage national de la CIA pendant la guerre du Viêt Nam.

C’est l’implication d’Eisenhower qui a conduit les républicains de la commission à menacer de rendre public ce qu’ils avaient appris sur les activités similaires de la CIA adoubées par le président John F. Kennedy.

Le sénateur Frank Church, démocrate de l’Idaho, se présentait à l’élection présidentielle et avait besoin de l’aide du sénateur Ted Kennedy et de sa famille pour y parvenir. Il a approuvé une déclaration négociée dans le rapport final de la Commission sur les tentatives d’assassinat de la CIA, qui se bornait à dire qu’aucune évaluation définitive de l’implication d’Eisenhower et de Jack Kennedy dans les activités d’assassinat ne pouvait être établie.

J’avais déménagé à New York avant le début des auditions et, bien que j’aie continué à travailler pour le Times, la direction du journal, manifestement inquiète de ma propension à semer le chaos, a décidé que je ne devais plus me mêler des histoires de l’espionnage national et de ses retombées. (Je commençais alors à me rendre compte que les grands médias eux-mêmes, lorsqu’il s’agit de certaines histoires à fort impact, ne valent pas un seau de pisse tiède).

En 1955, Eisenhower a chaleureusement soutenu la décision américaine - on ne sait toujours pas si c’était la sienne ou celle des deux frères extrémistes Dulles de son administration - le secrétaire d’État John et le directeur de la CIA Allen - d’installer un catholique anticommuniste nommé Ngo Dinh Diem à la présidence du Sud-Vietnam, majoritairement bouddhiste. Ceux qui partagent mon aversion chronique pour la guerre qui a suivi connaissent la suite.

Jack Kennedy, le premier président américain fait pour la télévision, a pris ses fonctions en 1961 et a poursuivi la croisade anticommuniste en Europe, en Asie du Sud-Est, à Cuba et ailleurs. Les années Kennedy n’ont pas fait du monde un endroit plus sûr, comme nous l’avons découvert et comme nous le découvrons encore. Sonné par son échec à la Baie des Cochons trois mois après le début de son mandat, Kennedy a été choqué d’apprendre, lors de son premier sommet avec le dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev deux mois plus tard à Vienne, que le Russe en savait beaucoup plus que lui sur le monde et le communisme.

Il dira plus tard à James Reston, chroniqueur vedette du New York Times, qu’il allait faire ses preuves au Sud-Vietnam. Reston n’a révélé cette conversation que bien plus tard, dans ses mémoires. Lyndon Johnson est entré en fonction après l’assassinat de JFK en 1963, convaincu que sa présidence serait mesurée à l’aune de l’ampleur de la guerre menée par Jack au Sud-Vietnam. Les dommages collatéraux, qui se sont traduits par la mort de millions de personnes, sont aujourd’hui bien identifiés.
Un aspect moins connu de ces quelques années est que Johnson, chaque fois qu’une offre de paix sérieuse était faite par les ennemis de l’Amérique à Hanoï, refusait d’interrompre les bombardements américains intenses et constants, tant au Nord qu’au Sud du Viêt Nam, au motif que cela serait perçu comme un signe de faiblesse.
Une folie stupéfiante.

Le président Richard Nixon a poursuivi les bombardements sur le Nord-Vietnam et initié ceux sur le Cambodge pour une autre raison : il voulait camoufler sa décision de commencer à retirer les unités combattantes américaines des champs de bataille. Il a amorcé ce retrait dès l’été 1970. Les bombardements n’ont pas amélioré le moral de l’armée sud-vietnamienne, qui savait que les Viêt-congs et les troupes nord-vietnamiennes ne pourraient pas être vaincus, surtout avec le retrait des forces américaines.

Mais on peut reconnaître à Nixon et à Henry Kissinger d’avoir utilisé la force - et de nombreux morts vietnamiens - pour évacuer les troupes américaines de la guerre. Nixon a également bien compris qu’il pouvait amadouer ses alliés sceptiques - certains les qualifient de réalistes -, les dirigeants de la Russie et de la Chine, en leur promettant des accords commerciaux et de futurs accords de contrôle de l’armement, pour qu’ils cessent de soutenir le Nord-Vietnam et les Viêt-congs.

En tant que président, Gerald Ford était une non-entité géniale qui valait peut-être mieux qu’un seau de pisse tiède. Son ouverture d’esprit et sa gentillesse étaient réconfortantes, tout comme sa capacité à admettre la défaite américaine au sud du Viêt Nam.

Le mandat unique du président Jimmy Carter s’est achevé par un clin d’œil, bien qu’il ait réussi à dissimuler le fait, bien connu de la communauté américaine du renseignement, qu’Israël testait son programme naissant d’armes nucléaires avec l’aide des Sud-Africains. La CIA a fourni de très précieux renseignements - nous disposions d’un agent infiltré extraordinaire à Johannesburg -, mais en vain. L’arsenal israélien d’armes nucléaires en cours de déploiement continue d’être une question qui ne sera jamais débattue, alors que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou continue de piloter le déchaînement de son pays contre les Palestiniens de Gaza et de fermer les yeux sur l’escalade de la violence constante des colons israéliens en Cisjordanie à l’encontre des Palestiniens.

(En tant qu’auteur d’une première mise au point sur l’arsenal israélien dans mon livre “The Samson Option” (1991), je ne peux m’empêcher de me demander si l’assaut incessant de Bibi contre les Palestiniens n’est pas étayé par son sentiment qu’Israël a toujours un atout nucléaire dans son jeu).

Ronald Reagan a d’abord brandi la menace, puis offert de faire la paix avec l’Union soviétique. Malgré sa panoplie d’armes nucléaires, l’URSS vivait alors ses derniers jours avant l’avènement de la glasnost et de la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev, et la chance de voir s’amorcer la fin de la guerre froide a été manquée à cette époque. Reagan avait ses charmes - grand fan de Star Trek, il appelait invariablement “captain Kirk” les officiers supérieurs de la marine en service à la Maison Blanche - et il a réussi, même en tant qu’ardent défenseur de la guerre froide, à faire baisser les tensions et la température entre Washington et Moscou, facilitant peut-être la tâche de Gorbatchev dans la mise en œuvre de ses réformes.
Mais il a également approuvé une croisade anticommuniste menée par la CIA en Amérique centrale.

Son successeur, le président George H.W. Bush, a été hanté par son rôle majeur dans le scandale Iran-Contra - l’acheminement secret d’armes pour soutenir l’activité anticommuniste au Nicaragua. Mais Bush a dirigé l’engagement le plus convaincant de la politique étrangère américaine à l’époque, lorsque les avions et les troupes américaines ont mis en déroute les forces irakiennes lors de la première guerre du Golfe.
Il a également soutenu certains des pires éléments d’Amérique centrale, tels que Manuel Noriega, du Panama, autorisé à poursuivre son trafic de drogue et d’armes et à assassiner ses opposants politiques, en échange de son soutien aux opérations anticommunistes américaines, jusqu’à ce que Bush juge bon de l’évincer en 1989.

La démonstration de force consistant à expulser Saddam Hussein du Koweït n’a pas suffi à éviter à Bush de se faire battre par Bill Clinton en 1992. Les années de mandat de Clinton ont été marquées par sa décision, inspirée par Strobe Talbott, secrétaire d’État adjoint et vieil ami, de rompre une promesse faite à la Russie et d’étendre l’OTAN à l’est.
James Baker, secrétaire d’État de Bush, avait assuré à Moscou que de tels élargissements n’auraient pas cours si l’URSS acceptait l’unification de l’Allemagne de l’Est et de l’Allemagne de l’Ouest, ce qu’elle a fait, en permettant à la nouvelle Allemagne de rester au sein de l’OTAN.
La trahison de cette promesse par ses successeurs à la Maison Blanche peut être considérée comme l’élément déclencheur de la guerre que l’Ukraine est en train de perdre face à la Russie de Vladimir Poutine.

Le vice-président de George W. Bush, Dick Cheney, a été de loin le vice-président le plus brillant et le plus puissant de l’histoire moderne des États-Unis, et le principal architecte des guerres de Bush. J’ai passé des années à écrire sur les machinations de Cheney, et j’ai gagné des prix pour mes reportages, mais mes efforts n’ont pas dissuadé Cheney d’user de méthodes musclées ou de prises de pouvoir anticonstitutionnelles.
J’ai été abasourdi lorsque John Kerry et John Edwards ont échoué à battre Bush et Cheney - alors aux prises avec l’Irak - en 2004. La décision de Kerry de se concentrer non pas sur les horreurs commises par Bush et Cheney, comme les abus commis par les gardiens américains à la prison d’Abu Ghraib, mais sur son propre passé d’officier de marine au Viêt Nam a constitué une erreur monumentale.

Lors de son premier mandat, M. Obama a joué la carte de la sécurité et a permis à Hillary Clinton, son choix surprise en tant que secrétaire d’État, de semer la pagaille en Libye. Elle y a orchestré une révolution qui s’est soldée par le meurtre brutal de Mouammar Kadhafi, le chef de l’État libyen. Depuis, le chaos n’a cessé d’y régner.
M. Obama a prononcé un brillant discours au Caire sur la crise dans le monde arabe et a fait naître l’espoir que son administration ferait face à l’intransigeance israélienne et amènerait Israël et les Palestiniens à entamer des pourparlers de paix sérieux.
Cela ne s’est pas produit.
M. Obama n’a pas donné suite à l’engagement pris antérieurement de fermer l’horrible prison américaine de Guantánamo, devenue le symbole de l’anti-américanisme dans tout le Moyen-Orient. Il en a déçu plus d’un après sa réélection en 2012, lorsqu’il est devenu un président comme les autres, usant de son pouvoir non pas pour essayer de combattre les problèmes à l’étranger qui ont engendré le terrorisme - en particulier les questions liées à Israël - mais en recourant toujours plus à l’action militaire, avec ses séances du mardi au cours desquelles lui et son équipe de sécurité nationale décidaient des ennemis à cibler pour être tués dans la semaine.

On peut dire que les échecs de la politique étrangère d’Obama et d’Hillary Clinton, lorsqu’ils étaient au pouvoir, ont pavé la voie à la victoire électorale de Donald Trump en 2016.

Les années de mandat de Donald Trump sont encore assez récentes et il n’est pas nécessaire de s’attarder ici sur sa politique, ses frasques et la rhétorique qui a conduit les Américains à élire Joe Biden en 2020. Toutefois, à bien des égards, en ce qui concerne la Russie et Israël, Donald Trump a poursuivi les politiques que ses prédécesseurs, démocrates et républicains, ont appliquées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale avec la création d’Israël en tant que nation en 1948.

Et nous voici avec un président qui cumule les pires caractéristiques de ses prédécesseurs de l’après-guerre.

En tant que sénateur, il était considéré par certains de ses pairs comme vaniteux, paresseux et pas vraiment brillant. Après avoir voté contre le déclenchement de la première guerre du Golfe en 1991, M. Biden, en tant que sénateur, s’est toujours montré partisan d’une politique étrangère belliciste. À la surprise générale, M. Biden a ardemment soutenu Israël dans sa guerre actuelle contre le Hamas à Gaza, et ne montre aucune intention de suspendre les livraisons d’armes américaines à Israël ni de rejoindre les nombreux dirigeants internationaux qui insistent haut et fort en public pour qu’Israël interrompe ses attaques meurtrières à Gaza et la violence croissante des colons israéliens, soutenus par l’armée israélienne, contre les Palestiniens en Cisjordanie.

Le soutien de Joe Biden à l’Ukraine et à Israël dans leurs combats et sa récente décision d’attaquer les Houthis au Yémen l’ont fait entrer au club des deux dirigeants, Bibi Netanyahou et Volodymyr Zalensky, les plus conspués dans la plupart des pays du monde.
L’ironie du mandat de M. Biden est que, outre l’Occident, Poutine et Xi Jinping (Chine) sont de plus en plus estimés. Les présidents américains, Obama inclus, ont déjà été perçus de cette manière, même quand leurs pires instincts cultivés par leurs conseillers fanatiques les ont entraînés dans des guerres inutiles.

Mais en s’en prenant aujourd’hui aux Houthis, M. Biden manifeste des signes de panique politique évidents.

Photo  : Les présidents Dwight D. Eisenhower et John F. Kennedy à la Maison Blanche le 10 septembre 1962. / Photo by Votava/Imagno/Getty Images.


Voir en ligne : https://ssofidelis.substack.com/p/t...

   

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